Commentaire 2021

Analyse et explication des cas de discrimination

1. Avant-propos

L’année 2021 a été marquée par de nombreuses détériorations de biens et de nombreux graffitis aux symboles nationaux- socialistes dans l’espace public. En février 2021, on compte comme l’un des incidents les plus graves, la porte d’entrée de la synagogue de Bienne souillée par une croix gammée et des slogans nationaux-socialistes. En mars, un inconnu grave une croix gammée sur un arbre à Bellevue, à Zurich, et en été, des inconnus taguent sur un mur le long de la Zürcherstrasse à Thalwil l’inscription « Impfen macht frei » (« la vaccination libère »), accompagnée d’une croix gammée. Un autre cas s’est produit dans un parc du Tessin, où une croix gammée est affichée sur un panneau. Toutefois, ce ne sont pas uniquement les symboles « classiques » du national-socialisme qui sont repérés dans l’espace public l’année dernière. En juillet, des jeunes déploient une bannière sur le Kornhausbrücke de Berne, sur laquelle figurait la « rune de Tyr », une flèche dirigée vers le haut. Ce symbole représente le groupe « Junge Tat », se définissant lui-même comme l’aile de la jeunesse du Nationalen Aktionsfront (NAF) d’extrême droite.

Des croix gammées ou des étoiles jaunes sont également apparues de plus en plus souvent dans le cadre de protestations contre les mesures de préventions contre le COVID, tentant d’établir une comparaison entre la situation politique actuelle et le régime national-socialiste. Même si tous ces incidents ne suggèrent pas per se un motif antisémite, leurs nombres sont préoccupants, car ils indiquent une compréhension moindre de l’histoire au sein de la population et entrainent une minimisation des atrocités commises à cette époque. Au vu de ces développements, trois interventions parlementaires ont été déposées à la fin de l’année dernière pour réclamer l’interdiction des symboles extrémistes ou nationaux- socialistes. Le Conseil fédéral a déjà pris position sur l’intervention de Marianne Binder-Keller, qui réclame une interdiction sans exception de la représentation publique de symboles nationaux-socialistes, en argumentant de la même façon que dans ses prises de position précédentes sur des interventions de ce type. Dans son argumentation, le Conseil fédéral écrit que contre l’utilisation de symboles nationaux- socialistes sans but de propagande, la prévention est un moyen plus approprié que la répression pénale. La GRA a ici un autre point de vue car l’une ne doit pas exclure l’autre : il faut à la fois de la prévention et une interdiction prévoyant des sanctions claires. Par conséquent la GRA a lancé une pétition adressée au Conseil national et au Conseil des Etats, qui a déjà été signée par des milliers de personnes. Celle-ci invite les membres du Conseil national et du Conseil des Etats l’adoption des interventions politiques soumises à la fin de l’année dernière et à prononcer ainsi un signal sans équivoque contre le racisme et l’antisémitisme (plus d’informations sur les interventions politiques sous « Interventions actuelles sur l’interdiction des symboles racistes au Parlement »).

« Les symboles et les gestes racistes transmettent de manière condensée des déclarations qui sont incompatibles avec l’idée fondamentale d’une société démocratique. »

Une chose est sûre : les symboles ont un impact non négligeable et transmettent souvent un message sans équivoque. En effet, ces symboles peuvent non seulement exprimer de manière imagée une idéologie, mais ils servent également de signe d’identification pour les personnes partageant les mêmes idées, transmettant ainsi un sentiment d’appartenance et représentant en même temps une démarcation. Les symboles et les gestes racistes transmettent sous une forme condensée des déclarations qui sont incompatibles avec l’idée fondamentale d’une société démocratique. Une conception et une formulation précise de la norme pénale sont donc importantes afin que l’utilisation publique de symboles et de gestes racistes soient suffisamment pris en compte par le droit pénal. Daniel Jositsch, professeur de droit pénal et conseiller aux Etats, s’exprime sur la situation juridique actuelle et le débat politique concernant une éventuelle interdiction des symboles nationaux- socialistes dans l’espace public. Dans la seconde interview, Samuel Althof, spécialiste de l’extrémisme, explique le pouvoir et l’impact des symboles ainsi que leur portée, notamment dans le contexte des mythes de conspiration circulant actuellement.

L’année précédente a par ailleurs continué à être marquée par les idéologies conspirationnistes antisémites. C’est pourquoi, la GRA a lancé un nouveau dépliant informatif pour les enseignants et a créé sur son site Internet un glossaire en ligne contenant les mots de code et les termes expliquant les tenants et aboutissants des idéologies conspirationnistes, afin de sensibiliser le public à ce genre de contenu.

Comparé à l’année précédente, la GRA a reçu davantage de signalements d’incidents racistes dans les écoles. De plus, parallèlement aux propos racistes, ce sont surtout des symboles et des gestes nationaux- socialistes qui sont signalés (pour en savoir plus, voir « Racisme à l’école »). La GRA suit de près ces évolutions et a encore renforcé son travail d’éducation et de prévention afin d’aider les enseignants, les apprenants et les parents à échanger de manière constructive sur le thème du racisme et de l’antisémitisme.

2. Chronologie 2021

La chronologie des incidents racistes, que la GRA tient à jour en permanence avec la société pour les minorités en Suisse (GMS) sur https://www.gra.ch/fr/chronologie/, a enregistré en 2021 un total de 86 incidents racistes ou antisémites publiés par les médias dans toute la Suisse.

Comme seuls les incidents racistes ou antisémites publiés dans les médias sont repris dans la chronologie, celle-ci ne prétend pas être exhaustive. La chronologie ne contient pas non plus les incidents signalés directement à la GRA (pour en savoir plus, voir « Signalement de cas de racisme »).

« Malgré l’augmentation du nombre d’incidents recensés, on peut supposer que le nombre de cas non recensés est toujours élevé. »

Comparé à l’année précédente, la chronologie de l’année 2021 révèle une augmentation des incidents racistes. L’une des raisons de l’augmentation des incidents est la pandémie du COVID-19 qui s’est prolongée et les protestations contre les mesures l’accompagnant ainsi que les déclarations publiques des opposants aux mesures et aux vaccins. Dans ce contexte, on a assisté à une nette hausse des incidents relativisant l’holocauste. Quand bien même ces incidents n’étaient pas antisémites per se, ils contribuent dans leur ensemble à affaiblir la compréhension de l’histoire et sont donc tout sauf anodins. Une augmentation de dommages matériels et de graffitis est également constatée : les symboles nationaux-socialistes, comme la croix gammée, étant particulièrement fréquents. Dans la plupart de ces incidents, il n’y avait pas de lien direct ou local avec des institutions ou des personnes juives.

L’année dernière, plusieurs parlementaires se sont penché⸱es sur cette problématique et ont déposé des interventions visant à interdire les symboles racistes et antisémites dans l’espace public. La réponse du Conseil fédéral est encore en suspens et le débat au Parlement sera mené dans les semaines et mois à venir.

L’augmentation des cas est aussi due aux nombreux signalements d’incidents discriminatoires à l’encontre de membres de la communauté LGBTQIA+. De plus, parallèlement aux insultes, des agressions physiques isolées se sont produites.

Malgré l’augmentation du nombre d’incidents recensés, on peut supposer que le nombre de d’incidents racistes et antisémites non recensés restent élevés car seule une minorité d’incidents parvient à se frayer un chemin dans les médias ou à être rapportés.

Radicalisme de droite / Extrémisme

Durant l’année 2021, les médias ont régulièrement fait état de marches et de rassemblements de groupes d’extrême droite ainsi que de la participation d’extrémistes de droite à des manifestations contre les mesures anti-COVID. Comme de nombreux autres groupes, les extrémistes de droite tentent de profiter des développements actuels en rapport à la pandémie du COVID-19 et d’augmenter leur portée. Pour ce faire, ils infiltrent les manifestations contre les mesures anti-COVID et défilent avec le groupe hétérogène des opposants aux mesures. Certes, un certain potentiel d’utilisation du cortège comme plateforme de recrutement pour la promotion d’idées d’extrême droite existe, mais le danger est moindre dans ce cas, car un recrutement sérieux de nouveaux membres nécessite plus de temps pour établir de véritables relations (voir l’interview détaillée de Samuel Althof, expert de l’extrémisme ici). L’expert voit toutefois un réel danger dans les personnes manifestantes contre les mesures du COVID, qui remettent en question la légitimité de l’Etat avec leurs comparaisons de dictature. En se comportant de la sorte, ils justifient d’éventuels débordements violents contre les institutions et les politiciens. Cela représente toujours un danger quand l’appareil étatique est déclaré ennemi per se.

« Ce qui est frappant en 2021, c’est l’accumulation de dégradations et de graffitis utilisant des symboles nationaux-socialistes comme la croix gammée. »

De même, des rassemblements d’extrémistes de droite ont eu lieu, comme le rassemblement pour la commémoration de la bataille de Sempach au monument de Winkelried et la randonnée organisée par certains membres de « Junge Tat » à Bâle- Campagne. Le nombre de participants observés lors de ces réunions est resté approximativement le même au cours des dernières années. Comparée à l’Allemagne, la scène d’extrême droite constitue en Suisse un danger plutôt ponctuel. Ce qui est frappant en 2021, c’est l’accumulation de dégradations et de graffitis utilisant des symboles nationaux- socialistes comme la croix gammée. Ceux-ci étaient souvent accompagnés d’insultes ou de déclarations critiques à l’égard des mesures et des vaccins.

Antisémitisme

La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) publie chaque année en collaboration avec la GRA, un rapport sur l’antisémitisme qui donne un aperçu sur les incidents antisémites enregistrés et sur la situation actuelle en Suisse. En 2021, le nombre d’incidents antisémites enregistrés a augmenté. Cette augmentation est due à la fois aux courriers au contenu antisémite et à l’augmentation du nombre d’incidents enregistrés en ligne.

Les incidents antisémites se produisent souvent de manière groupée, en raison de ce que l’on appelle des « déclencheurs ». Le déclencheur de loin le plus important en 2021 n’a cessé d’être la pandémie COVID-19, en parallèle à la brève escalade du conflit au Moyen-Orient en mai-juin 2021. Environ la moitié des incidents en ligne recensés concernaient des idéologies conspirationnistes antisémites contemporaines, dont la moitié se référait plus ou moins directement à la pandémie COVID-19. Les comparaisons avec la Shoah et le régime national-socialiste se sont multipliées autour des mesures du COVID-19. Ces comparaisons sont non seulement fausses, elles sont également absurdes et condamnables. Même si la comparaison n’est pas antisémite per se, elle a le don de faire monter la tension créant un terrain propice aux stéréotypes et aux préjugés antisémites, pouvant se manifester par des prises de position.

Racisme anti-Noir

La discrimination et les incidents racistes sont également fréquents à l’encontre des personnes de couleur qui sont souvent victimes d’agressions verbales et d’insultes. En 2021, plusieurs incidents racistes ont à nouveau eu lieu lors de matchs de football. Les joueurs noirs sont agressés verbalement pendant et après les matchs par des supporters frustrés dans le stade ou plus tard sur les réseaux sociaux. Bien que certains incidents aient été repris par les médias provoquant une grande vague d’indignation, les changements à long terme ou les mesures visant à empêcher de tels actes se font attendre. Pour réagir à la multiplication des incidents racistes dans les stades de football et afin de promouvoir la tolérance et la diversité, la GRA a organisé un match amical en novembre 2021 avec la participation de politiciens et politiciennes de Zurich, le FC Hakoa et le FC Kosova.

Parallèlement aux attaques verbales, des agressions physiques contre des personnes noires ont aussi été enregistrées de manière isolée. Un incident particulièrement grave s’est produit en octobre 2021 à Saint-Gall, lorsqu’un retraité s’est approché d’un propriétaire de club érythréen lui pulvérisant sans prévenir du spray au poivre au visage. De plus, l’homme a insulté le propriétaire du club en raison de la couleur de sa peau et a tenu des propos extrêmement racistes devant plusieurs témoins visuels, même après l’arrivée de la police. Le ministère public a déclaré le retraité coupable d’agression, d’abus verbal et d’incitation à la discrimination raciale et l’a condamné à une amende.

L’année dernière est également marquée par un débat extrêmement houleux sur les termes discriminants. L’accent a été mis sur le maniement des représentations et des dénominations problématiques de bâtiments historiques. Dans ce contexte, la ville de Zurich a décidé de supprimer les noms de maisons contenant le mot-M, l’effaçant ainsi du paysage urbain.

 

Racisme antimusulman

Comme le montre le rapport de l’Office fédéral de la statistique (OFS) « Vivre ensemble en Suisse », la population reste plus hostile à la communauté musulmane qu’aux autres groupes. Cela s’est avéré également dans le contexte de l’initiative « d’interdiction de se dissimuler le visage ». Des affiches électorales promouvant l’initiative montraient des femmes voilées à la mine sinistre, accompagnées d’un appel à mettre fin à l’extrémisme. Les ressentiments, les peurs et les stéréotypes existants, souvent dirigés contre les musulmans, sont ainsi exprimés et attisés par des campagnes publiques. Des incidents antimusulmans sont survenus ponctuellement en 2021, touchant principalement des femmes portant un hijab ou un foulard. Ce sont principalement des agressions verbales en public.

Signalements racistes

En parallèle aux incidents racistes rapportés par les médias, en 2021, de nombreux cas sont également signalés directement à la GRA, par le biais du site Internet de la GRA, par courriel ou par téléphone. Parallèlement à de nombreux signalements de contenus et de commentaires racistes ou antisémites en ligne, l’année 2021 est également marquée par un nombre particulièrement élevé de signalements d’incidents racistes dans les écoles, directement signalés à la GRA.

Racisme dans les écoles

En 2021, le nombre d’incidents racistes signalés à la GRA dans les écoles est nettement supérieur à celui de l’année précédente. En plus des propos racistes, les incidents impliquant des symboles et des gestes racistes, et notamment nationaux-socialistes, sont plus nombreux. On constate ici que les écoles reflètent les phénomènes et les évolutions de la société. Des élèves d’une école dans le canton de Zurich, célèbrent le salut hitlérien et plaisantent sur le gazage des personnes dans les camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale, faisant également allusion à des personnes de notre époque. Dans une autre école dans le canton de Schaffhouse, des élèves à vélos font un salut hitlérien au lieu de tendre la main pour tourner à droite. Un autre incident s’est produit dans une classe de 2e secondaire, où les apprenants devaient sauter en l’air et lever joyeusement les mains en l’air lors d’une photo de classe : à cette occasion, l’un des élèves fait le salut hitlérien. La plupart du temps, les parents s’inquiètent de telles situations et ne savent pas comment réagir ou aborder la problématique lorsqu’ils apprennent que de tels incidents ont lieu dans les écoles de leurs enfants. Bien souvent, les enseignants ne savent pas non plus comment réagir de manière appropriée. C’est ce que montre un incident survenu dans une école zurichoise, où un élève juif a trouvé une croix gammée gravée sur son pupitre après les vacances de printemps. L’enseignant responsable a recouvert le symbole national-socialiste laissant son élève continuer à travailler sur le pupitre. Suite à l’intervention de la mère de l’élève concerné, l’enseignant a voulu retirer le pupitre et le placer dans le couloir, où d’autres élèves seraient confrontés au symbole recouvert.

« En 2021, le nombre d’incidents racistes signalés à la GRA dans les écoles est nettement supérieur à celui de l’année précédente. »

La GRA a également été informée d’incidents racistes dans des écoles, au cours desquels des élèves ont été insultés et discriminés en raison de la couleur de leur peau. La GRA conseille les personnes au sujet de ces incidents et la fondation partenaire SET, Education à la tolérance, se charge d’intervenir sur place.

Afin de créer des lieux de rencontre et de discussion sur le terrain également, de sensibiliser les enseignants et les élèves aux thèmes du racisme et de l’antisémitisme et pour leur donner des outils afin de réagir de manière appropriée aux incidents racistes dans les écoles, la GRA organisera au printemps 2022, pendant la semaine internationale contre le racisme, un atelier de deux jours « Sparks – Zämä gege Rassismus » / « Sparks – Ensemble contre le racisme ».

De plus, au vu de la propagation continue des idéologies complotistes, aux discours antisémites, la GRA a lancé un nouveau dépliant informatif destiné aux enseignants. Le dépliant sur les « théories du complot » explique les mécanismes des idéologies du complot, soulignant leurs dangers et sensibilisant aux contenus antisémites.

La sensibilisation à l’antisémitisme dans la vie quotidienne, en particulier dans l’usage du langage, est également au cœur du développement du nouvel outil éducatif « Antisémitisme au quotidien. Reconnaître. Nommer. Réagir. » Cet outil est destiné tout particulièrement aux jeunes personnes et a pour but de leur fournir un moyen leur permettant de reconnaître l’antisémitisme au quotidien et d’y réagir de façon appropriée.

Hate Speech

Une grande partie des incidents racistes signalés directement à la GRA a rapport au Hate Speech. Le plus souvent il s’agit de signalements de posts ou de commentaires racistes sur les plateformes de médias sociaux et de signalements de propos racistes dans les colonnes de commentaires des éditions de journaux en ligne. En dépit des règles d’utilisation définies par les plateformes de médias sociaux pour leurs utilisateurs et utilisatrices, de nombreux propos racistes et antisémites parviennent à passer à travers les mailles du filet et ne sont pas supprimés par les responsables. Les posts et commentaires, subrepticement racistes ou antisémites ou, par exemple, minimisant l’Holocauste sans le nier concrètement, ne sont souvent pas supprimés. Ainsi, de nombreux messages racistes et antisémites continuent à circuler en ligne.

« Les posts et commentaires, subrepticement racistes ou antisémites, ne sont souvent pas supprimés. »

Les incidents signalés reflètent une évolution qui montre la montée en puissance du discours haineux, notamment en ligne. En réaction à ces développements, la CFR a lancé en novembre 2021 une nouvelle plateforme de signalement de Hate Speech raciste en ligne. Le site www.reportonlineracism.ch permet de signaler directement les incidents au CFR.

Conclusion

Les événements de 2021 illustrent une fois de plus les multiples facettes du racisme, de l’antisémitisme et d’autres formes de discrimination, les lieux où ils se manifestent et la difficulté de les combattre. Les nombreux incidents survenus en 2021, au cours desquels des gestes et des symboles nationaux-socialistes étaient au cœur de l’actualité, montrent à quel point il est urgent d’engager un débat et que des positions courageuses de la part des responsables politiques sont à prendre. Contrairement à l’Allemagne, la Suisse ne connaît pas d’interdiction stricte des symboles et des gestes nationaux-socialistes. L’exhibition publique de symboles et de gestes, tels que la croix gammée ou le salut hitlérien, n’est punissable que si elle fait la promotion d’une idéologie. La liberté d’expression étant un bien précieux en Suisse, c’est donc le contexte dans lequel les symboles et les gestes sont utilisés dont il faut tenir compte. En même temps, il est incontestable que les symboles et les gestes mentionnés sont les emblèmes d’une idéologie incompatible avec les principes fondamentaux d’un Etat de droit démocratique. C’est pour cette raison qu’une base juridique claire et un positionnement sans équivoque s’opposant à la haine raciste sont nécessaires.

Les symboles et les gestes nationaux-socialistes, tels que la croix gammée ou le salut hitlérien, n’ont pas leur place en Suisse. C’est la raison pour laquelle la GRA appelle, par la pétition qu’elle a lancée, le Conseil national et le Conseil des Etats à adopter les trois interventions politiques déposées. C’est précisément à une époque où les incidents liés à la symbolique nationale-socialiste se multiplient qu’il faut émettre un signal clair contre le racisme et l’antisémitisme.

3. L’interview avec le professeur Daniel Jositsch sur la situation juridique actuelle concernant l’interdiction des symboles nazis

Monsieur Jositsch, fin 2021, pas moins de trois interventions politiques ont été déposées pour demander l’interdiction des symboles extrémistes ou nationaux-socialistes. Comment interprétez-vous cette évolution ?

Les parlementaires sont à même de capter les tendances de l’époque et d’aborder les sujets qui préoccupent la société. Les protestations contre les mesures du COVID ont fait émerger des groupes de droite participant aux manifestations. En même temps, les rapprochements avec le national-socialisme, par exemple avec l’étoile jaune, se multiplient lors de ces protestations. Une partie de la société réclame donc un signe clair du côté de la politique, ce qui a été réalisé avec ces interventions.

Une interdiction des symboles nationaux-socialistes fait toujours l’objet de discussions au Parlement. Il y a 15 ans, vous vous prononciez également en faveur d’une interdiction lorsque le projet du Conseil fédéral avait été présenté en consultation. Finalement, le thème a été abandonné. Pourquoi ?

Il convient pour cela de comprendre la genèse de la norme pénale contre le racisme. Lorsque celle-ci a été soumise au vote du peuple au milieu des années 90, certains milieux ont estimé que la liberté d’expression était en danger. Pour des raisons stratégiques, il a été décidé que la norme serait plutôt « allégée » afin d’augmenter au maximum les chances d’acceptation dans les urnes. Mais déjà à cette époque, on envisageait un éventuel rajout des symboles dans l’avenir. Aujourd’hui, la norme pénale contre le racisme est moins discutée, un rajout n’est donc peut-être pas si irréaliste.

Une interdiction serait-elle vraiment applicable ?

Je pense que dans ce débat, il est important de maintenir des attentes réalistes. Le simple fait que de tels symboles réapparaissent constamment sous des formes légèrement différentes rend l’application d’une interdiction extrêmement difficile. Espérer qu’en cas d’interdiction, on ne verra plus de tels symboles dans l’espace public n’est pas réaliste. Cependant, s’il s’agit avant tout de montrer que les idéologies dénigrantes ne sont pas tolérées dans l’espace public, une interdiction peut avoir du sens. Le blanchiment d’argent est également interdit, même si cela ne permet pas de l’empêcher.

Si une loi seule ne suffit pas, que faut-il en plus pour lutter contre la propagation et le pouvoir d’attraction de tels symboles ?

Le meilleur moyen, et sans doute le plus durable, est le travail de prévention et d’éducation. La nouvelle génération doit savoir exactement ce que représentent ces symboles et pourquoi ils ne doivent en aucun cas être banalisés ou utilisés pour servir son propre agenda politique. Ce savoir doit être transmis de manière à ce qu’il corresponde aussi à la réalité de la vie des jeunes générations.

Informations personnelles :
Prof. Dr. iur. Daniel Jositsch est conseiller aux Etats et professeur de droit pénal et de procédure pénale à l’université de Zurich. Il est également membre de la Commission des institutions politiques, membre de la Délégation auprès de l’Union interparlementaire et, depuis 2018, vice-président du Groupe socialiste.

Interventions actuelles sur l’interdiction des symboles racistes au Parlement :
La motion « Pas de glorification du Troisième Reich – Interdire sans exception la symbolique nazie dans l’espace public » déposée par Marianne Binder-Keller, vise à créer une base autonome permettant d’interdire et de punir l’utilisation de signes distinctifs du national-socialisme connus du public, tant sur le plan numérique que dans le monde réel.

L’initiative parlementaire « Interdiction de l’utilisation publique de symboles extrémistes et racistes, incitant à la violence », déposée par Angelo Barrile, vise à adapter les bases légales afin de rendre punissable l’utilisation publique de moyens de propagande, notamment du national-socialisme ou d’une association à motivation raciste.
L’initiative parlementaire « Punir dans tous les cas l’utilisation et la diffusion publiques de symboles racistes », déposée par Gabriela Suter, vise à compléter le code pénal afin que l’utilisation ou la diffusion publiques de symboles racistes, de symboles nationaux-socialistes en particulier, soient punies d’une amende, même si ces symboles sont présentés sans caractère publicitaire. Une exception doit ici s’appliquer à l’utilisation ou à la diffusion publiques de tels symboles à des fins scientifiques ou culturelles dignes de protection.

4. Entretien avec Samuel Althof, spécialiste de l’extrémisme, sur le pouvoir des symboles racistes et leur portée

Interview mit dem Extremismusexperten Samuel Althof

Quelle est la place des symboles dans les milieux extrémistes ?

Les symboles sont un élément important pour les groupes extrémistes. Ils offrent une certaine reconnaissance, servent à se démarquer et génèrent une pression interne extrêmement importante, leur conférant une grande force de cohésion de groupe. Ils représentent donc aussi un grand potentiel d’identification.

De quels symboles s’agit-il ? Peut-on identifier des schémas particuliers ?

Les symboles « classiques » des milieux d’extrême droite, comme la croix gammée ou la rune, sont généralement reproduits sous une forme adaptée. C’est ce phénomène qui rend la question de la sanction pénale si complexe. Les symboles sont donc d’une part en constante métamorphose, mais d’autre part, un certain lien avec les symboles connus perdure, car cela permet justement de préserver une certaine « lignée ».

Lorsque les symboles extrémistes sont évoqués, la plupart des gens pensent directement aux croix gammées ou à d’autres symboles connus des milieux d’extrême droite. Quelle est la valeur de ces symboles pour les milieux d’extrême gauche ?

Les symboles jouent un rôle important dans les deux camps. Dans les milieux d’extrême gauche, il semble toutefois qu’il y ait une plus grande constance ou systématisation. Les mêmes concepts de couleurs et les mêmes logos sont utilisés de manière plus cohérente. Les groupes d’extrême droite donnent l’impression d’être plus fractionnés. Cela a un rapport étroit avec la pression des poursuites pénales qui pèsent sur la symbolique illégale d’extrême droite. Les groupes ne cessent de transformer leurs symboles ou de les réinventer en quelque sorte. Nombreux petits ou sous-groupes ont alors à leur tour leur propre nom et leur propre « logo ». Ces groupes disparaissent généralement aussi vite qu’ils sont apparus. Leur « durée de vie » est éphémère.

Où rencontre-t-on ces symboles ? Dans quels espaces sont-ils répandus ?

On constate une certaine alternance entre Internet et le monde « réel ». Les symboles sont mis en scène de manière médiatique dans le cadre d’actions. Le tout est filmé puis publié sur Internet, où les vidéos et les posts sont à leur tour partagés et likés. Dans le « meilleur » des cas, les médias en parlent encore plus générant ainsi encore plus d’attention. Un exemple, datant de l’année dernière : quelques jeunes déploient une grande bannière, à un endroit bien exposé, le pont du Kornhaus à Berne. Ils se filment et se mettent en scène. Ces actes sont ensuite immédiatement publiés sur Internet et diffusés via YouTube.

Où voient-ils un rapport avec les mythes de conspiration qui se sont à nouveau largement répandus depuis la pandémie ?

Les symboles sont un élément central de la communication des théories du complot. En effet, tout comme les récits de conspiration, ils simplifient les faits par de simples graphiques. De cette manière, on catégorise le bien et le mal, l’appartenance et la différence. C’est précisément au début de la pandémie que l’on a assisté à une diffusion rapide de telles images sur des canaux de communication comme Telegram. Dans le monde réel, le symbole, l’étoile jaune inventée par les nazis, avec l’inscription « non vacciné », a généré à travers les manifestations contre le COVID, une grande polarisation et malheureusement aussi une identification factice de victime. Vous voyez donc qu’il ne faut pas sous-estimer l’impact des symboles et ce qu’ils provoquent chez les gens.

Informations personnelles :
Samuel Althof est directeur du Service de prévention de l’extrémisme et de la violence. Il dirige également un cabinet de conseil psychologique à Bâle, le « Büro für innere und äussere Angelegenheiten ». Depuis plus de 20 ans, il s’engage contre le racisme sur Internet et aide à développer des stratégies pour faire face aux extrémistes de droite et de gauche.

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